Maïmonide nous enseigne : si un homme a fauté envers son
prochain et désire obtenir son pardon et que cet ami refuse de lui pardonner,
il doit lui envoyer trois hommes pour plaider sa cause. Si l’ami refuse
toujours, il doit lui envoyer trois nouveaux émissaires, puis trois autres
encore, s’ils subissent toujours un refus. Si le pardon est refusé pour la
troisième fois, le fautif cessera de solliciter ; c’est l’offensé qui se sera
placé lui-même dans une situation difficile. C’est lui désormais le coupable,
pour le refus de pardonner.
Rabbi Isaac, de son côté enseigne : celui qui offense son
prochain, même par des propos, doit l'apaiser pour être pardonné, comme il est
dit (Proverbes 6, 2) : «Mon fils, si tu t'es porté garant pour ton prochain, si
tu as engagé ta parole pour un étranger, tu es pris au piège de tes promesses;
tu es devenu le prisonnier de ta parole. Vas, insiste avec énergie et livre un
assaut à ton prochain.
Pour Levinas, le prochain, mon frère, l'homme, le « petit
autre » est, en un certain sens, plus autre que D.ieu, car pour obtenir son
pardon le Jour du Kippour, je dois au préalable obtenir qu'il s'apaise. Je
dépends donc de cet autre qui pourrait désobéir à la Tradition juive et me
laisser à tout jamais impardonné.
Dans la Torah il n’est pas fait mention de la repentance
à Kippour mais seulement du devoir de pardonner. La repentance de Kippour n’a
été introduite que dans la Loi orale. Le Talmud de Babylone( traité Yoma 85B),
nous dit clairement : Les fautes de l'homme envers D.ieu sont pardonnées le
jour de Kippour, mais les fautes de l'homme envers autrui ne sont pardonnées
qui si on se réconcilie avec lui.
On constate donc objectivement qu’il est beaucoup plus
pénible, long et onéreux d’obtenir le pardon de l’autre que le pardon divin.
Neuf émissaires, selon Maïmonide, du temps, des efforts et de l’argent pour, en
définitive, ne pas obtenir le pardon de son prochain, mauvais coucheur, qui
s’entête à refuser alors qu’il n’a plus de raison de le faire, ayant été
dédommagé et abondamment supplié. Mais, du moins on aura accompli son devoir.
Il en résulte que le pardon divin serait subordonné à
l’obligation de tout homme de demander pardon à son prochain, s’il pense devoir
le faire. Et, ne nous trompons pas, les hommes savent pertinemment à qui il
convient de demander pardon, pour des raisons diverses et variées. Le font-ils
? Il est permis d’en douter. Il est tellement plus facile de se rendre à la
synagogue le jour de Kippour, et ce faisant, de penser être quitte avec D parce
que l’on s’est frappé sur la poitrine, que l’on a jeuné une journée entière….
le jour du Grand pardon.
Les juifs auraient tendance à mettre l’accent sur le
repentir au jour de Kippour, au retour à Hachém qui, en hébreu, s’appelle
Téchouva. En bref, sur le pardon qu’ils sollicitent de D, et qu’ils pensent, de
manière générale, obtenir sans trop d’efforts ; et, beaucoup moins à celui que
l’on offre à son prochain, et moins encore, à celui que l’on sollicite de
l’autre, vis-à-vis de qui on a fauté par l’acte ou la parole.
J’ignore - bien que j’ose l’espérer - si D. pardonne à
l’individu, au peuple d’Israël, aux autres Nations de la terre, le jour de
Kippour, mais je sais pertinemment si j’ai pardonné ou non à untel qui m’a fait
du tort, et mieux encore, si j’ai fait tout ce qui est en mon pouvoir pour me
faire pardonner de tel autre à qui j’ai fait mal. La vérité c’est d’abord ne
pas se mentir à soi même.
Ce qui signifie tout simplement que la pratique juive
(j’ai horreur du terme : « judaïsme ») comporte deux pans : l’un, de nature
mystique, théologique, métaphysique, (appelez le comme cela vous chante), qui
traite des rapports entre l’homme et son Créateur, et l’autre, bien plus terre
à terre, qui traite des rapports entre l’homme et son prochain. Ce deuxième
volet a tendance à être largement occulté à bien des égards, comme s’il
s’agissait de la portion congrue de la pratique; le pardon que l’on doit
solliciter avant Kippour de son prochain, ne représentant qu’une facette.
Par ailleurs, il est légitime de s’interroger : comment
et pourquoi D pardonnerait-il au plus « pieux » d’entre nous à Kippour, si ce
dernier a négligé de se mettre en harmonie avec ses semblables ? La ferveur à
la synagogue mérite t-elle toutes les indulgences divines ?
Si ce raisonnement est juste, il signifie, comme disent
nos sages, que Derekh Erets kadma la Torah. Soit, que la voie de la terre, le
Dao confucéen, le savoir vivre et le savoir être, a précédé le don de la Torah,
et que, la demande de pardon à son prochain doit précéder l’espérance de pardon
de la part du Créateur.
C’est sans doute pour cela que je suis devenu un fan de
Confucius, qui, pressé de toutes part par ses élèves, pour répondre à leurs
justes interrogations métaphysiques, se contente de leur faire observer que
tant qu’ils ne sauront pas se comporter correctement dans le monde ici bas, ils
n’ont que chercher sur les hauteurs. Ce qui n’implique nullement qu’il ne
croyait pas au Ciel mais, que par pudeur ou, selon son ordre de priorités, il
se refusait de disserter de ces choses.
La notion confucéenne du pardon se distingue de la
conception juive, largement reprise et pas mal déformée par le christianisme dans la mesure où Confucius se réfère à ce que
l’on peut nommer la mansuétude ou, la règle de réciprocité. Dans le Lunyu,
Confucius définit la mansuétude, shu,
comme une vertu cardinale de son enseignement.
Zigong, un disciple du Maître interroge Confucius : Y
a-t-il un maître mot qui puisse guider l'action toute une vie durant ? Le
Maître répond : « Mansuétude », n'est-ce pas le maître mot ? Ce que
tu ne voudrais pas qu'on te fasse, ne l'inflige pas aux autres.
Un autre terme complète la vision du Maître ; il s’agit
de Ren, ou le sens de l’humain.
Toujours Zigong : » Maître, celui
qui prodiguerait les bienfaits au peuple et subviendrait à tous ses besoin, ne
mériterait-il pas le nom de pleinement humain, Ren ? Le Maître : Ce ne serait
plus le sens de l'humain, ce serait la
sagesse suprême (sheng) ; même Yao et Shun y auraient peiné. Pratiquer le Ren, c'est commencer par soi-même
: vouloir établir les autres autant qu'on veut s'établir soi-même, et souhaiter
leur réussite autant qu'on souhaite la sienne propre. Puise en toi l'idée de ce
que tu peux faire pour les autres – voilà qui te mettra sur la voie du Ren".
On voit donc que Confucius se situe à l’amont du pardon,
donc de la faute envers autrui. Il s’agit d’étendre à l’autre l’exigence morale
qui Doit en premier lieu s’appliquer à soi même. Il s’agit donc moins de la
faute commise que de l’état mental qui la précède.
L’approche confucéenne, bien ambitieuse d’un Tikoun (réparation, amélioration)
qui commence par soi même, n’est certes pas étrangère au Judaïsme. Mais les
juifs sont réalistes et fondent en définitive assez peu d’espoir dans les
capacités de l’individu à ne pas faillir envers son prochain, " le petit
autre", pour reprendre l’expression de Lévinas. Il convient donc de légiférer/réguler
la relation sollicitateur du pardon - pardonné. Hillel qui résume au Gér
(étranger qui souhaite se convertir) l’essence du judaïsme sur un pied, ne
rajoute t-il pas à la fameuse maxime « ce qui te fais horreur, ne le fais
pas à l’autre », une autre phrase que l’on oublie généralement : « et
maintenant vas et étudies ». La première maxime se rapporte à un idéal,
pratiquement impossible à atteindre ; comme le pense également Confucius, la seconde, faite d’efforts,
d’étude et d’apprentissage, est la marque de fabrique du judaïsme.
Dans la tradition chinoise, quand le dommage fait à
autrui demande réparation, selon sa gravité, il relève plutôt du domaine de
l'excuse – comme l’incivilité ou l’atteinte aux rites – ou du domaine
judiciaire – le droit pénal prenant le relais de l'idéal ; ce que ne
conteste pas la tradition juive.
Demande de pardon pour le Juif, excuse, pour le Chinois ;
que ces choses là sont proches.
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