mercredi 30 novembre 2011

Confucius, le Hassidisme et la Realpolitik



Confucius attendit l'âge de 50 ans pour acquérir de véritables responsabilités. Il fut nommé Ministre de la Justice, puis Premier ministre du prince Lu dans la province de Zhongdu. Un de ses faits d’armes, non violent, fut de récupérer par la ruse des villes et des territoires que son maître avait perdues au profit d’un autre seigneur, le Prince de Qi, en lui faisant perdre la face. Ce qui en Chine est le plus sur moyen de remporter une victoire.

Confucius, malgré son humanisme, n’est pas un tendre lorsqu’il s’agit des Affaires de l’Etat. En tant que Premier ministre, il n'hésite pas à condamner à mort un officier, nommé - ironie de l'Histoire - Mao  (Shao Zheng  Mao) au sujet duquel il est écrit: "Il suffit qu'il soit quelque part pour que les disciples s'assemblent en foule autour de lui, il suffit qu'il  parle pour travestir la vérité et semer partout le doute, il suffit qu'il  exprime avec force une idée pour qu'elle soit pernicieuse et soutenue avec la dernière opiniâtreté. Cela fait de lui  un phénix parmi les gens de rien ; il était impossible de ne pas le  condamner." (In Xun Zi, VIII, 2. Traduction de I.P. KAMEROVIC).

Confucius n'est pas un adepte de la peine de mort, mais n'hésite pas à l'appliquer quand un énergumène acquiert trop d'importance et met en danger l'ordre public.
 Son humanité, nous le constatons,  n'empêche pas la fermeté la plus extrême. Il est important de signaler que Mao ne fut exécuté qu'après que l'on eut tout fait pour le rééduquer afin qu'il revienne sur ses mauvais agissements. En hébreu, on utilise l'expression faire Techouva, revenir sur ses agissements. Mao, irrémédiablement mauvais et incapable de se corriger, il n'y avait d'autre solution que de le mettre à mort. Ce qui n’empêche pas le maître de dire: « Si des princes vertueux se succédaient sur le trône durant cent ans, ils vaincraient les scélérats, et élimineraient la peine de mort » (XIII.11)

On voit donc que le nécessaire réalisme dans la gestion du quotidien de l'Etat n'empêche pas Confucius d'espérer des temps idylliques où le loup cohabitera avec l'agneau; ou plutôt où la méchanceté du loup aura disparu de la surface de la terre. En cela il me paraît très proche du Judaïsme.

Le cas de Mao mis à mort est unique dans la littérature confucéenne connue et à ce titre a valeur d'exemple. Il me fait penser au cas du Bén Sorér ou Moré cité dans le livre de Devarim: « Si un homme a un fils dévoyé et rebelle, sourd à la voix de son père comme à celle de sa mère, et qui, malgré leurs corrections, persiste à leur désobéir, son père et sa mère se saisiront de lui, le traduiront devant les anciens de sa ville, au tribunal de sa localité, et ils diront aux anciens de la ville: "Notre fils que voici est dévoyé et rebelle, n'obéit pas à notre voix, s'adonne à la débauche et à l'ivrognerie." Alors, tous les habitants de cette ville le feront mourir à coups de pierres, et tu extirperas ainsi le vice de chez toi; car tout Israël l'apprendra et sera saisi de crainte ». (Devarim 21-18, début de la Parasha)

Intéressant et édifiant, si ce n'est, nous dit le Talmud (Sanhedrin 71a), que cette situation ne s'est jamais produite; aucun fils indigne ne fut mis à mort. Il s'agit donc d'un cas théorique qui n'aurait jamais existé. Il est là pour illustrer des valeurs fondamentales du Judaïsme. Comme le cas de Mao mis à mort, le Ben Sorer ou Moré, revêt une valeur d’exemple, pour dissuader les mécréants et les fauteurs de trouble.


Confucius attendit également l'âge de 50 ans pour devenir un vrai Maître, reconnu et suivi.  On dit qu’il eut quelques 3000 disciples, parmi lesquels 72 (selon d'autres : 70 ou 77) seulement le comprenaient; sinon parfaitement, du moins, correctement. 
Le chiffre de 72 dans la symbolique chinoise  serait le produit du plus haut chiffre mâle Yang  9, par le plus haut chiffre femelle Yin, 8, soit un nombre quasi parfait. (Rémi Mathieu, L’invention de humanisme chinois, note 12 page 22). 72, ou 70, nous renvoie sur la numérologie  hébraïque où il revêt également une très grande importance.

- Le grand Sanhédrin, ou Grand Tribunal,  comporte 70 membres, en référence aux 70 Anciens qui accompagnaient et assistaient Moïse (Nombres 11:6) dans le désert. On cite le chiffre de soixante dix, mais en fait ils étaient 72, puisque deux d’entre eux, Eldad et Medad,  étaient restés au camp.

 - La traduction de la Bible de l'hébreu en grec, à la demande de Ptolémée II, fut effectuée par 72 rabbins ( 6 par Tribu); ce qui ne l'empêcha pas d'être appelée les Septante.

- 72 peuples ou races naquirent des 3 fils de Noé (Genèse 10) : 15 de Yafét, 30 de Ham et et 27 de Chém

- A la destruction de la Tour de Babel, les hommes furent dispersés à la surface de la terre, et il naquit 72 langues.  Dans un  texte apocryphe des manuscrits de Nag Hammadi, « Le concept de notre grande puissance », il est confirmé que Noé prêcha dans 72 langues différentes.

- 70 Hébreux rentrèrent avec Jacob en Egypte

- Selon la Cabale, le grand nom de D. ou Chém Haméforach  est composé de 72  lettres

- Le chiffre 72 est également repris dans le Nouveau Testament: 72 disciples furent envoyés par Jésus (Luc 10:1)

- 72 est également le nombre des immortels taoïstes.

La nature du rapport entre Maitre Kong et ses élèves n'est pas sans faire penser aux mouvements hassidiques; ceux qui émergèrent au XVIII e siècle avec le Baal Shem Tov, comme ceux qui liaient les Tanaïm du  Talmud, tels Rabbi Akiva, à ses élèves.

Tana en araméen correspond au mot Shana en hébreu qui signifie: "répéter ce que quelqu’un a enseigné" et, plus simplement "étudie"r. De la provient le mot Mishna. Approximativement 120 Tanaïm sont répertoriés dans le Talmud, et, à coup sur, Rabbi Akiva fut l'un des plus importants d’entre eux.

Rabi Akiva eut, selon la tradition 24000 élèves; soit un chiffre considérable, à rapprocher des 3000 élèves de Confucius, mais peu d’élèves proches, qui devinrent eux-mêmes des maitres réputés. On peut citer Rabbi Meir Baal Haness, Rabbi Shimon bar Yohaï, Rabban Gamliel, et peut-être Rabbi Yehuda haNassi lui-même.

Les relations entre le Maître, le Tsaddik, et ses Hassidim,dans la tradition  juive ressemble à s’y méprendre à celles qu’entretint Confucius avec ses principaux élèves; ceux qu’il estimait et aimait. Ils passaient le plus clair de leur temps ensemble, quitte à ce que les élèves suivent le maitre dans ses déplacements.   Dans la tradition juive, il y a les maîtres qui ont un domicile fixe, où se rendent les élèves, quitte à s’y installer pour des périodes plus ou moins longues, mangeant à la table du Tsaddik, afin de suivre son enseignement, et il y a les maîtres itinérants; le meilleur exemple est le Baal Chem Tov qui courait la campagne au gré de son inspiration,  de Roumanie en  Pologne, et de là, en en Russie, pour porter sa parole dans les shtetel les plus reculés. Des Hassidim se joignent au Tsaddik dans ses pérégrinations, qui pour lui, font sens.  
On raconte L’histoire d’un Rabbi qui, un beau matin, décida d’entreprendre un long voyage afin de se rendre dans un village où, à priori il n’avait que faire, pour la seule raison d’y acheter au marché local un grand poisson. Quand ses disciples lui demandèrent la raison de ce voyage qui, pour eux, n’avait pas de sens dans la mesure où dans la ville où il vivait le marché était largement achalandée de poissons en tous genres et de toutes tailles, le Tsaddik leur répondit : - Il  ya un homme qui a fauté dans sa vie antérieure et qui s’est transformé en poisson dans cette vie-ci. Tant qu’on n’aura pas consommé de telle et telle façon le poisson qu’il est devenu, il ne pourra trouver le repos. Le Tsaddik et ses hassidim firent un grand repas avec ce poisson, et le Tsaddik s’en retourna satisfait chez lui.

Confucius passa le plus clair de sa vie adulte à pérégriner dans l’immense Chine. Certains prétendent que c’était pour trouver un Prince qui reconnaisse enfin sa valeur et lui confère les responsabilités publiques qui revenaient à son talent d’administrateur. Peut être est-ce aussi pour imprégner de sa marque singulière les lieux où il passa. Ce n’est que vers la fin de sa vie qu’il se sédentarisa, en créant sa propre Yeshiva.  

samedi 26 novembre 2011

Adam, Confucius, et le le juste nom des choses


Dés sa création à partir de la glaise, et, avant que D ne lui adjoigne une compagne,  le premier homme, Adam, se voit assigner une mission d’importance. Il est écrit : « D. forme à partir de la terre-argile (« glèbe », selon Chouraqui)  tout animal des champs et tout volatile des cieux et les fait venir  à l’Adam (« le glébeux », toujours selon Chouraqui), pour voir comment il les nommera, et, tout nom que le Adam attribuera  à l’être vivant, c’est son nom (à jamais). Et le Adam attribue des noms à tout le bétail, aux oiseaux des cieux et à tous les animaux des champs ».

Imaginez-vous la scène : D. fait passer tous les animaux de la terre qu’Il a créés, avec de l’argile, devant Adam, fabriqué de la même matière qu’eux, et les fait défiler devant lui, mâle et femelle, puis se met en retrait afin d’observer Adam pour voir comment il se débrouillera. La tache du premier homme consiste à leur trouver un nom. Ce nom n’est pas neutre ; sa finalité est de définir leur essence et le rôle qu’ils vont devoir jouer dans le grand zoo qui s’intitule la Terre.

Plusieurs questions se posent :
- Pourquoi D. qui attribue un nom à l’homme, ne fait pas de même pour les animaux ?
- Pourquoi D. se tient en retrait en observant l’homme en train de nommer les animaux ?
- En quelle langue sont nommés les animaux ?

L’explication communément avancée par les rabbins pour désigner ce passage est que D. fait défiler les bêtes devant l’homme pour qu’éventuellement il se trouve une compagne parmi celles-ci. Peut-être, mais avouez que c’est bien insuffisant; il n'était pas obligé de les nommer.

Donner un nom à une chose ou à un être vivant ; par exemple,  attribuer à un enfant qui vient de naitre le nom qu’il portera pour toujours, désigner un invention-innovation, donner un nom à une œuvre littéraire ou, appeler un chat,  « chat », est à la fois signe de possession / autorité sur la chose nommée, et enjoint à la chose/être nommé(e) une trajectoire, une  vocation dans le futur  et, contribue à mettre de l’ordre dans l’univers.
Ainsi, si je nomme un morceau de tissu, "torchon" ou "caleçon", je définis sa fonction/mission jusqu’à sa disparition physique. Si je nomme un loup, "agneau", cela implique que je dois l’installer dans la bergerie, et alors, « bonjour le désordre ! De même, si un chef d’Etat nomme un politicien véreux et/ou incompétent, Ministre des Finance,  le pays perd perds son triple A.

Voyons ce qu’en pense Confucius:  Tzeu lou dit : « Si le prince de Wei vous attendait pour régler avec vous les affaires publiques, à quoi donneriez-vous votre premier soin ? – A rendre à chaque chose son vrai nom », répondit le Maître. « Vraiment ? répliqua Tzeu lou. Maître, vous vous égarez loin du but. A quoi bon cette rectification des noms ? » Le Maître répondit : « Que tu es rustre ! Un homme honorable se garde de se prononcer sur ce qu’il ignore. Si les noms ne sont pas ajustés, le langage n’est pas adéquat. Si le langage n’est pas adéquat, les choses ne peuvent être menées à bien. Si les choses ne peuvent être menées à bien, les bienséances et l’harmonie ne s’épanouissent guère. Les bienséances et l’harmonie ne s’épanouissant guère, les supplices et les autres châtiments ne sont pas justes. Les supplices et les autres châtiments n’étant plus justes, le peuple ne sait plus sur quel pied danser. Tout ce que l’homme honorable conçoit, il peut l’énoncer, et l’énonçant il peut le faire. L’homme honorable ne laisse rien à la légère. » ( Linyu XIII.3)

Confucius, qui, à ma connaissance n’était pas familier avec le texte de la Genèse, avait compris - je ne sais trop comment - que l’essentiel , dans la politique comme dans toute œuvre humaine, était de nommer les choses par leur nom juste. Parce que le nom juste conduit à un projet souhaitable; donc à une réalisation qui correspond au projet. Le nom est donc normatif et, nommer, conduit non seulement à être mais aussi à devoir être. Le nom oblige.
Pour Confucius, si untel est nommé ministre, son nom l’oblige à se comporter comme tel. Si un fils nomme son père « père », il prend sur lui toutes les obligations filiales qui en découlent. Quand le Gouverneur de Che se vente que dans son pays il y avait des gens assez probes pour témoigner contre leur père, quand il volait un mouton, Confucius rétorque : « Chez nous les gens agissent tout différemment : les fils couvrent leurs pères et les pères couvrent leurs fils ; c’est là que se trouve la droiture »

La recherche du mot juste pour désigner la chose, relève chez Confucius de l’obsessionnel. Peut-être à juste titre d’ailleurs, car il y a la chose, et son apparence, et on a tôt fait de les confondre. Il faut se garder d’accoler trop vite un nom à ce que nous voyons, car alors on risquerait de désigner l’apparence et non l’être. La précipitation à nommer, et, à parler en général, peut engendrer des conséquences désastreuses. C’est  une des raisons pour lesquelles le Maître est aussi avare en paroles et accorde une si grande importance au silence. « J’aimerais ne pas parler... »

L’Adam, qui avait été conçu à la réplique et à la ressemblance de D., possédait par conséquent  un QI supérieur même à celui d’Einstein; les Textes nous disent, qu’il était en mesure de voir jusqu’à l’extrémité du monde, donc, aussi,  jusqu’à la fin des temps. Sa vision limpide de l’espace-temps; lui-même étant matière animée et pensante grâce au souffle divin, lui interdisait de commettre une erreur aussi grossière que de désigner le loup, « agneau ».  Il savait que toute erreur de désignation pouvait entrainer le monde au chaos originel ; son choix de nom pour les êtres animés se devait d’être parfait. Et surtout immuable. Le chien,chien, sera chien et s’appellera « chien » pour toujours, et surtout, se verra attribuer la mission d’un chien, afin qu’il soit et demeure dans le rôle qui lui était imparti, et afin que l’ordre règne dans l’univers.

D. se place en retrait et observe avec bienveillance l'Adam, l’être créé à Sa Ressemblance, nommer les créatures vivantes créées par Lui, non pas, parce qu’Il n’a pas le pouvoir/savoir de le faire, mais pour laisser à l’homme le soin de diriger le monde qu’il n’a pas construit, et de tenter d'y installer une certaine harmonie.

Adam, en véritable superman, accomplit la tâche de départ qui consiste à compléter l’œuvre divine en mettant de l'ordre dans l’Univers, qui vient tout juste de naître, en désignant les choses par leur nom, donc, en plaçant chaque chose et chaque être à sa place. Les aléas de l’histoire et la stupidité des hommes vont entrainer une confusion  entre le nom et la chose désignée : l’amour devient perversion, le pouvoir qui se doit d’être au service du peuple, l’asservit et l’humilie, d’où désordre et misère. Arrive Confucius qui nous dit que dans une société imparfaite, l’important est : « de rectifier les noms » … qui se sont pervertis.

Adam a fait du bon boulot ; la meilleure preuve, D. l’a laissé faire sans intervenir. Il le récompense même pour ce travail en lui fabriquant une compagne.

Une question demeure irrésolue: en quelle langue Adam désigne t-il les animaux ?
La tradition juive voit dans l’hébreu, la langue originelle qui donna naissance aux autres langues. Une étroite parenté entre l’hébreu et les autres langues a pu être constatée entre les termes se rapportant aux éléments dont l’usage était connu aux stades primitifs de la civilisation : nom des planètes et des astres, nom des minéraux, nom des plantes, désignation des êtres humains (âge, sexe, parties du corps, famille et parenté), désignation de l’espace et du temps, des nombres et des mesures, désignation des métiers ou activités primaires, de la guerre et des armes et, bien entendu …  nom des animaux. La démonstration serait longue et n’apporte rien à notre sujet. Il est donc plus que vraisemblable qu’Adam ait nommé les animaux en hébreu.

Mais ce sont là des chinoiseries juives. Une chose est certaine: Confucius s’inscrit en droite ligne de l’Adam pointilleux dans la désignation des choses et des êtres pour qu’un minimum d’ordre règne dans l’univers. Il faut rectifier les noms !!

jeudi 24 novembre 2011

Confucius, les Juifs et le pardon


Maïmonide nous enseigne : si un homme a fauté envers son prochain et désire obtenir son pardon et que cet ami refuse de lui pardonner, il doit lui envoyer trois hommes pour plaider sa cause. Si l’ami refuse toujours, il doit lui envoyer trois nouveaux émissaires, puis trois autres encore, s’ils subissent toujours un refus. Si le pardon est refusé pour la troisième fois, le fautif cessera de solliciter ; c’est l’offensé qui se sera placé lui-même dans une situation difficile. C’est lui désormais le coupable, pour le refus de pardonner.

Rabbi Isaac, de son côté enseigne : celui qui offense son prochain, même par des propos, doit l'apaiser pour être pardonné, comme il est dit (Proverbes 6, 2) : «Mon fils, si tu t'es porté garant pour ton prochain, si tu as engagé ta parole pour un étranger, tu es pris au piège de tes promesses; tu es devenu le prisonnier de ta parole. Vas, insiste avec énergie et livre un assaut à ton prochain.

Pour Levinas, le prochain, mon frère, l'homme, le « petit autre » est, en un certain sens, plus autre que D.ieu, car pour obtenir son pardon le Jour du Kippour, je dois au préalable obtenir qu'il s'apaise. Je dépends donc de cet autre qui pourrait désobéir à la Tradition juive et me laisser à tout jamais impardonné.

Dans la Torah il n’est pas fait mention de la repentance à Kippour mais seulement du devoir de pardonner. La repentance de Kippour n’a été introduite que dans la Loi orale. Le Talmud de Babylone( traité Yoma 85B), nous dit clairement : Les fautes de l'homme envers D.ieu sont pardonnées le jour de Kippour, mais les fautes de l'homme envers autrui ne sont pardonnées qui si on se réconcilie avec lui.

On constate donc objectivement qu’il est beaucoup plus pénible, long et onéreux d’obtenir le pardon de l’autre que le pardon divin. Neuf émissaires, selon Maïmonide, du temps, des efforts et de l’argent pour, en définitive, ne pas obtenir le pardon de son prochain, mauvais coucheur, qui s’entête à refuser alors qu’il n’a plus de raison de le faire, ayant été dédommagé et abondamment supplié. Mais, du moins on aura accompli son devoir.

Il en résulte que le pardon divin serait subordonné à l’obligation de tout homme de demander pardon à son prochain, s’il pense devoir le faire. Et, ne nous trompons pas, les hommes savent pertinemment à qui il convient de demander pardon, pour des raisons diverses et variées. Le font-ils ? Il est permis d’en douter. Il est tellement plus facile de se rendre à la synagogue le jour de Kippour, et ce faisant, de penser être quitte avec D parce que l’on s’est frappé sur la poitrine, que l’on a jeuné une journée entière…. le jour du Grand pardon.

Les juifs auraient tendance à mettre l’accent sur le repentir au jour de Kippour, au retour à Hachém qui, en hébreu, s’appelle Téchouva. En bref, sur le pardon qu’ils sollicitent de D, et qu’ils pensent, de manière générale, obtenir sans trop d’efforts ; et, beaucoup moins à celui que l’on offre à son prochain, et moins encore, à celui que l’on sollicite de l’autre, vis-à-vis de qui on a fauté par l’acte ou la parole.
J’ignore - bien que j’ose l’espérer - si D. pardonne à l’individu, au peuple d’Israël, aux autres Nations de la terre, le jour de Kippour, mais je sais pertinemment si j’ai pardonné ou non à untel qui m’a fait du tort, et mieux encore, si j’ai fait tout ce qui est en mon pouvoir pour me faire pardonner de tel autre à qui j’ai fait mal. La vérité c’est d’abord ne pas se mentir à soi même.

Ce qui signifie tout simplement que la pratique juive (j’ai horreur du terme : « judaïsme ») comporte deux pans : l’un, de nature mystique, théologique, métaphysique, (appelez le comme cela vous chante), qui traite des rapports entre l’homme et son Créateur, et l’autre, bien plus terre à terre, qui traite des rapports entre l’homme et son prochain. Ce deuxième volet a tendance à être largement occulté à bien des égards, comme s’il s’agissait de la portion congrue de la pratique; le pardon que l’on doit solliciter avant Kippour de son prochain, ne représentant qu’une facette.

Par ailleurs, il est légitime de s’interroger : comment et pourquoi D pardonnerait-il au plus « pieux » d’entre nous à Kippour, si ce dernier a négligé de se mettre en harmonie avec ses semblables ? La ferveur à la synagogue mérite t-elle toutes les indulgences divines ?

Si ce raisonnement est juste, il signifie, comme disent nos sages, que Derekh Erets kadma la Torah. Soit, que la voie de la terre, le Dao confucéen, le savoir vivre et le savoir être, a précédé le don de la Torah, et que, la demande de pardon à son prochain doit précéder l’espérance de pardon de la part du Créateur.

C’est sans doute pour cela que je suis devenu un fan de Confucius, qui, pressé de toutes part par ses élèves, pour répondre à leurs justes interrogations métaphysiques, se contente de leur faire observer que tant qu’ils ne sauront pas se comporter correctement dans le monde ici bas, ils n’ont que chercher sur les hauteurs. Ce qui n’implique nullement qu’il ne croyait pas au Ciel mais, que par pudeur ou, selon son ordre de priorités, il se refusait de disserter de ces choses.
La notion confucéenne du pardon se distingue de la conception juive, largement reprise et pas mal déformée par le christianisme  dans la mesure où Confucius se réfère à ce que l’on peut nommer la mansuétude ou, la règle de réciprocité. Dans le Lunyu, Confucius définit la mansuétude, shu, comme une vertu cardinale de son enseignement.

Zigong, un disciple du Maître interroge Confucius : Y a-t-il un maître mot qui puisse guider l'action toute une vie durant ? Le Maître répond : « Mansuétude », n'est-ce pas le maître mot ? Ce que tu ne voudrais pas qu'on te fasse, ne l'inflige pas aux autres.

Un autre terme complète la vision du Maître ; il s’agit de Ren, ou le sens de l’humain. Toujours  Zigong : » Maître, celui qui prodiguerait les bienfaits au peuple et subviendrait à tous ses besoin, ne mériterait-il pas le nom de pleinement humain, Ren ? Le Maître : Ce ne serait plus  le sens de l'humain, ce serait la sagesse suprême (sheng) ; même Yao et Shun y auraient peiné. Pratiquer le Ren, c'est commencer par soi-même : vouloir établir les autres autant qu'on veut s'établir soi-même, et souhaiter leur réussite autant qu'on souhaite la sienne propre. Puise en toi l'idée de ce que tu peux faire pour les autres – voilà qui te mettra sur la voie du Ren".

On voit donc que Confucius se situe à l’amont du pardon, donc de la faute envers autrui. Il s’agit d’étendre à l’autre l’exigence morale qui Doit en premier lieu s’appliquer à soi même. Il s’agit donc moins de la faute commise que de l’état mental qui la précède.

L’approche confucéenne,  bien ambitieuse d’un Tikoun (réparation, amélioration) qui commence par soi même, n’est certes pas étrangère au Judaïsme. Mais les juifs sont réalistes et fondent en définitive assez peu d’espoir dans les capacités de l’individu à ne pas faillir envers son prochain, " le petit autre", pour reprendre l’expression de Lévinas. Il convient donc de légiférer/réguler la relation sollicitateur du pardon - pardonné. Hillel qui résume au Gér (étranger qui souhaite se convertir) l’essence du judaïsme sur un pied, ne rajoute t-il pas à la fameuse maxime « ce qui te fais horreur, ne le fais pas à l’autre », une autre phrase que l’on oublie généralement : «  et maintenant vas et étudies ». La première maxime se rapporte à un idéal, pratiquement impossible à atteindre ; comme le pense également Confucius, la seconde, faite d’efforts, d’étude et d’apprentissage, est la marque de fabrique du judaïsme.

Dans la tradition chinoise, quand le dommage fait à autrui demande réparation, selon sa gravité, il relève plutôt du domaine de l'excuse – comme l’incivilité ou l’atteinte aux rites – ou du domaine judiciaire – le droit pénal prenant le relais de l'idéal ; ce que ne conteste pas la tradition juive.

Demande de pardon pour le Juif, excuse, pour le Chinois ; que ces choses là sont proches.