mercredi 30 novembre 2011

Confucius, le Hassidisme et la Realpolitik



Confucius attendit l'âge de 50 ans pour acquérir de véritables responsabilités. Il fut nommé Ministre de la Justice, puis Premier ministre du prince Lu dans la province de Zhongdu. Un de ses faits d’armes, non violent, fut de récupérer par la ruse des villes et des territoires que son maître avait perdues au profit d’un autre seigneur, le Prince de Qi, en lui faisant perdre la face. Ce qui en Chine est le plus sur moyen de remporter une victoire.

Confucius, malgré son humanisme, n’est pas un tendre lorsqu’il s’agit des Affaires de l’Etat. En tant que Premier ministre, il n'hésite pas à condamner à mort un officier, nommé - ironie de l'Histoire - Mao  (Shao Zheng  Mao) au sujet duquel il est écrit: "Il suffit qu'il soit quelque part pour que les disciples s'assemblent en foule autour de lui, il suffit qu'il  parle pour travestir la vérité et semer partout le doute, il suffit qu'il  exprime avec force une idée pour qu'elle soit pernicieuse et soutenue avec la dernière opiniâtreté. Cela fait de lui  un phénix parmi les gens de rien ; il était impossible de ne pas le  condamner." (In Xun Zi, VIII, 2. Traduction de I.P. KAMEROVIC).

Confucius n'est pas un adepte de la peine de mort, mais n'hésite pas à l'appliquer quand un énergumène acquiert trop d'importance et met en danger l'ordre public.
 Son humanité, nous le constatons,  n'empêche pas la fermeté la plus extrême. Il est important de signaler que Mao ne fut exécuté qu'après que l'on eut tout fait pour le rééduquer afin qu'il revienne sur ses mauvais agissements. En hébreu, on utilise l'expression faire Techouva, revenir sur ses agissements. Mao, irrémédiablement mauvais et incapable de se corriger, il n'y avait d'autre solution que de le mettre à mort. Ce qui n’empêche pas le maître de dire: « Si des princes vertueux se succédaient sur le trône durant cent ans, ils vaincraient les scélérats, et élimineraient la peine de mort » (XIII.11)

On voit donc que le nécessaire réalisme dans la gestion du quotidien de l'Etat n'empêche pas Confucius d'espérer des temps idylliques où le loup cohabitera avec l'agneau; ou plutôt où la méchanceté du loup aura disparu de la surface de la terre. En cela il me paraît très proche du Judaïsme.

Le cas de Mao mis à mort est unique dans la littérature confucéenne connue et à ce titre a valeur d'exemple. Il me fait penser au cas du Bén Sorér ou Moré cité dans le livre de Devarim: « Si un homme a un fils dévoyé et rebelle, sourd à la voix de son père comme à celle de sa mère, et qui, malgré leurs corrections, persiste à leur désobéir, son père et sa mère se saisiront de lui, le traduiront devant les anciens de sa ville, au tribunal de sa localité, et ils diront aux anciens de la ville: "Notre fils que voici est dévoyé et rebelle, n'obéit pas à notre voix, s'adonne à la débauche et à l'ivrognerie." Alors, tous les habitants de cette ville le feront mourir à coups de pierres, et tu extirperas ainsi le vice de chez toi; car tout Israël l'apprendra et sera saisi de crainte ». (Devarim 21-18, début de la Parasha)

Intéressant et édifiant, si ce n'est, nous dit le Talmud (Sanhedrin 71a), que cette situation ne s'est jamais produite; aucun fils indigne ne fut mis à mort. Il s'agit donc d'un cas théorique qui n'aurait jamais existé. Il est là pour illustrer des valeurs fondamentales du Judaïsme. Comme le cas de Mao mis à mort, le Ben Sorer ou Moré, revêt une valeur d’exemple, pour dissuader les mécréants et les fauteurs de trouble.


Confucius attendit également l'âge de 50 ans pour devenir un vrai Maître, reconnu et suivi.  On dit qu’il eut quelques 3000 disciples, parmi lesquels 72 (selon d'autres : 70 ou 77) seulement le comprenaient; sinon parfaitement, du moins, correctement. 
Le chiffre de 72 dans la symbolique chinoise  serait le produit du plus haut chiffre mâle Yang  9, par le plus haut chiffre femelle Yin, 8, soit un nombre quasi parfait. (Rémi Mathieu, L’invention de humanisme chinois, note 12 page 22). 72, ou 70, nous renvoie sur la numérologie  hébraïque où il revêt également une très grande importance.

- Le grand Sanhédrin, ou Grand Tribunal,  comporte 70 membres, en référence aux 70 Anciens qui accompagnaient et assistaient Moïse (Nombres 11:6) dans le désert. On cite le chiffre de soixante dix, mais en fait ils étaient 72, puisque deux d’entre eux, Eldad et Medad,  étaient restés au camp.

 - La traduction de la Bible de l'hébreu en grec, à la demande de Ptolémée II, fut effectuée par 72 rabbins ( 6 par Tribu); ce qui ne l'empêcha pas d'être appelée les Septante.

- 72 peuples ou races naquirent des 3 fils de Noé (Genèse 10) : 15 de Yafét, 30 de Ham et et 27 de Chém

- A la destruction de la Tour de Babel, les hommes furent dispersés à la surface de la terre, et il naquit 72 langues.  Dans un  texte apocryphe des manuscrits de Nag Hammadi, « Le concept de notre grande puissance », il est confirmé que Noé prêcha dans 72 langues différentes.

- 70 Hébreux rentrèrent avec Jacob en Egypte

- Selon la Cabale, le grand nom de D. ou Chém Haméforach  est composé de 72  lettres

- Le chiffre 72 est également repris dans le Nouveau Testament: 72 disciples furent envoyés par Jésus (Luc 10:1)

- 72 est également le nombre des immortels taoïstes.

La nature du rapport entre Maitre Kong et ses élèves n'est pas sans faire penser aux mouvements hassidiques; ceux qui émergèrent au XVIII e siècle avec le Baal Shem Tov, comme ceux qui liaient les Tanaïm du  Talmud, tels Rabbi Akiva, à ses élèves.

Tana en araméen correspond au mot Shana en hébreu qui signifie: "répéter ce que quelqu’un a enseigné" et, plus simplement "étudie"r. De la provient le mot Mishna. Approximativement 120 Tanaïm sont répertoriés dans le Talmud, et, à coup sur, Rabbi Akiva fut l'un des plus importants d’entre eux.

Rabi Akiva eut, selon la tradition 24000 élèves; soit un chiffre considérable, à rapprocher des 3000 élèves de Confucius, mais peu d’élèves proches, qui devinrent eux-mêmes des maitres réputés. On peut citer Rabbi Meir Baal Haness, Rabbi Shimon bar Yohaï, Rabban Gamliel, et peut-être Rabbi Yehuda haNassi lui-même.

Les relations entre le Maître, le Tsaddik, et ses Hassidim,dans la tradition  juive ressemble à s’y méprendre à celles qu’entretint Confucius avec ses principaux élèves; ceux qu’il estimait et aimait. Ils passaient le plus clair de leur temps ensemble, quitte à ce que les élèves suivent le maitre dans ses déplacements.   Dans la tradition juive, il y a les maîtres qui ont un domicile fixe, où se rendent les élèves, quitte à s’y installer pour des périodes plus ou moins longues, mangeant à la table du Tsaddik, afin de suivre son enseignement, et il y a les maîtres itinérants; le meilleur exemple est le Baal Chem Tov qui courait la campagne au gré de son inspiration,  de Roumanie en  Pologne, et de là, en en Russie, pour porter sa parole dans les shtetel les plus reculés. Des Hassidim se joignent au Tsaddik dans ses pérégrinations, qui pour lui, font sens.  
On raconte L’histoire d’un Rabbi qui, un beau matin, décida d’entreprendre un long voyage afin de se rendre dans un village où, à priori il n’avait que faire, pour la seule raison d’y acheter au marché local un grand poisson. Quand ses disciples lui demandèrent la raison de ce voyage qui, pour eux, n’avait pas de sens dans la mesure où dans la ville où il vivait le marché était largement achalandée de poissons en tous genres et de toutes tailles, le Tsaddik leur répondit : - Il  ya un homme qui a fauté dans sa vie antérieure et qui s’est transformé en poisson dans cette vie-ci. Tant qu’on n’aura pas consommé de telle et telle façon le poisson qu’il est devenu, il ne pourra trouver le repos. Le Tsaddik et ses hassidim firent un grand repas avec ce poisson, et le Tsaddik s’en retourna satisfait chez lui.

Confucius passa le plus clair de sa vie adulte à pérégriner dans l’immense Chine. Certains prétendent que c’était pour trouver un Prince qui reconnaisse enfin sa valeur et lui confère les responsabilités publiques qui revenaient à son talent d’administrateur. Peut être est-ce aussi pour imprégner de sa marque singulière les lieux où il passa. Ce n’est que vers la fin de sa vie qu’il se sédentarisa, en créant sa propre Yeshiva.  

samedi 26 novembre 2011

Adam, Confucius, et le le juste nom des choses


Dés sa création à partir de la glaise, et, avant que D ne lui adjoigne une compagne,  le premier homme, Adam, se voit assigner une mission d’importance. Il est écrit : « D. forme à partir de la terre-argile (« glèbe », selon Chouraqui)  tout animal des champs et tout volatile des cieux et les fait venir  à l’Adam (« le glébeux », toujours selon Chouraqui), pour voir comment il les nommera, et, tout nom que le Adam attribuera  à l’être vivant, c’est son nom (à jamais). Et le Adam attribue des noms à tout le bétail, aux oiseaux des cieux et à tous les animaux des champs ».

Imaginez-vous la scène : D. fait passer tous les animaux de la terre qu’Il a créés, avec de l’argile, devant Adam, fabriqué de la même matière qu’eux, et les fait défiler devant lui, mâle et femelle, puis se met en retrait afin d’observer Adam pour voir comment il se débrouillera. La tache du premier homme consiste à leur trouver un nom. Ce nom n’est pas neutre ; sa finalité est de définir leur essence et le rôle qu’ils vont devoir jouer dans le grand zoo qui s’intitule la Terre.

Plusieurs questions se posent :
- Pourquoi D. qui attribue un nom à l’homme, ne fait pas de même pour les animaux ?
- Pourquoi D. se tient en retrait en observant l’homme en train de nommer les animaux ?
- En quelle langue sont nommés les animaux ?

L’explication communément avancée par les rabbins pour désigner ce passage est que D. fait défiler les bêtes devant l’homme pour qu’éventuellement il se trouve une compagne parmi celles-ci. Peut-être, mais avouez que c’est bien insuffisant; il n'était pas obligé de les nommer.

Donner un nom à une chose ou à un être vivant ; par exemple,  attribuer à un enfant qui vient de naitre le nom qu’il portera pour toujours, désigner un invention-innovation, donner un nom à une œuvre littéraire ou, appeler un chat,  « chat », est à la fois signe de possession / autorité sur la chose nommée, et enjoint à la chose/être nommé(e) une trajectoire, une  vocation dans le futur  et, contribue à mettre de l’ordre dans l’univers.
Ainsi, si je nomme un morceau de tissu, "torchon" ou "caleçon", je définis sa fonction/mission jusqu’à sa disparition physique. Si je nomme un loup, "agneau", cela implique que je dois l’installer dans la bergerie, et alors, « bonjour le désordre ! De même, si un chef d’Etat nomme un politicien véreux et/ou incompétent, Ministre des Finance,  le pays perd perds son triple A.

Voyons ce qu’en pense Confucius:  Tzeu lou dit : « Si le prince de Wei vous attendait pour régler avec vous les affaires publiques, à quoi donneriez-vous votre premier soin ? – A rendre à chaque chose son vrai nom », répondit le Maître. « Vraiment ? répliqua Tzeu lou. Maître, vous vous égarez loin du but. A quoi bon cette rectification des noms ? » Le Maître répondit : « Que tu es rustre ! Un homme honorable se garde de se prononcer sur ce qu’il ignore. Si les noms ne sont pas ajustés, le langage n’est pas adéquat. Si le langage n’est pas adéquat, les choses ne peuvent être menées à bien. Si les choses ne peuvent être menées à bien, les bienséances et l’harmonie ne s’épanouissent guère. Les bienséances et l’harmonie ne s’épanouissant guère, les supplices et les autres châtiments ne sont pas justes. Les supplices et les autres châtiments n’étant plus justes, le peuple ne sait plus sur quel pied danser. Tout ce que l’homme honorable conçoit, il peut l’énoncer, et l’énonçant il peut le faire. L’homme honorable ne laisse rien à la légère. » ( Linyu XIII.3)

Confucius, qui, à ma connaissance n’était pas familier avec le texte de la Genèse, avait compris - je ne sais trop comment - que l’essentiel , dans la politique comme dans toute œuvre humaine, était de nommer les choses par leur nom juste. Parce que le nom juste conduit à un projet souhaitable; donc à une réalisation qui correspond au projet. Le nom est donc normatif et, nommer, conduit non seulement à être mais aussi à devoir être. Le nom oblige.
Pour Confucius, si untel est nommé ministre, son nom l’oblige à se comporter comme tel. Si un fils nomme son père « père », il prend sur lui toutes les obligations filiales qui en découlent. Quand le Gouverneur de Che se vente que dans son pays il y avait des gens assez probes pour témoigner contre leur père, quand il volait un mouton, Confucius rétorque : « Chez nous les gens agissent tout différemment : les fils couvrent leurs pères et les pères couvrent leurs fils ; c’est là que se trouve la droiture »

La recherche du mot juste pour désigner la chose, relève chez Confucius de l’obsessionnel. Peut-être à juste titre d’ailleurs, car il y a la chose, et son apparence, et on a tôt fait de les confondre. Il faut se garder d’accoler trop vite un nom à ce que nous voyons, car alors on risquerait de désigner l’apparence et non l’être. La précipitation à nommer, et, à parler en général, peut engendrer des conséquences désastreuses. C’est  une des raisons pour lesquelles le Maître est aussi avare en paroles et accorde une si grande importance au silence. « J’aimerais ne pas parler... »

L’Adam, qui avait été conçu à la réplique et à la ressemblance de D., possédait par conséquent  un QI supérieur même à celui d’Einstein; les Textes nous disent, qu’il était en mesure de voir jusqu’à l’extrémité du monde, donc, aussi,  jusqu’à la fin des temps. Sa vision limpide de l’espace-temps; lui-même étant matière animée et pensante grâce au souffle divin, lui interdisait de commettre une erreur aussi grossière que de désigner le loup, « agneau ».  Il savait que toute erreur de désignation pouvait entrainer le monde au chaos originel ; son choix de nom pour les êtres animés se devait d’être parfait. Et surtout immuable. Le chien,chien, sera chien et s’appellera « chien » pour toujours, et surtout, se verra attribuer la mission d’un chien, afin qu’il soit et demeure dans le rôle qui lui était imparti, et afin que l’ordre règne dans l’univers.

D. se place en retrait et observe avec bienveillance l'Adam, l’être créé à Sa Ressemblance, nommer les créatures vivantes créées par Lui, non pas, parce qu’Il n’a pas le pouvoir/savoir de le faire, mais pour laisser à l’homme le soin de diriger le monde qu’il n’a pas construit, et de tenter d'y installer une certaine harmonie.

Adam, en véritable superman, accomplit la tâche de départ qui consiste à compléter l’œuvre divine en mettant de l'ordre dans l’Univers, qui vient tout juste de naître, en désignant les choses par leur nom, donc, en plaçant chaque chose et chaque être à sa place. Les aléas de l’histoire et la stupidité des hommes vont entrainer une confusion  entre le nom et la chose désignée : l’amour devient perversion, le pouvoir qui se doit d’être au service du peuple, l’asservit et l’humilie, d’où désordre et misère. Arrive Confucius qui nous dit que dans une société imparfaite, l’important est : « de rectifier les noms » … qui se sont pervertis.

Adam a fait du bon boulot ; la meilleure preuve, D. l’a laissé faire sans intervenir. Il le récompense même pour ce travail en lui fabriquant une compagne.

Une question demeure irrésolue: en quelle langue Adam désigne t-il les animaux ?
La tradition juive voit dans l’hébreu, la langue originelle qui donna naissance aux autres langues. Une étroite parenté entre l’hébreu et les autres langues a pu être constatée entre les termes se rapportant aux éléments dont l’usage était connu aux stades primitifs de la civilisation : nom des planètes et des astres, nom des minéraux, nom des plantes, désignation des êtres humains (âge, sexe, parties du corps, famille et parenté), désignation de l’espace et du temps, des nombres et des mesures, désignation des métiers ou activités primaires, de la guerre et des armes et, bien entendu …  nom des animaux. La démonstration serait longue et n’apporte rien à notre sujet. Il est donc plus que vraisemblable qu’Adam ait nommé les animaux en hébreu.

Mais ce sont là des chinoiseries juives. Une chose est certaine: Confucius s’inscrit en droite ligne de l’Adam pointilleux dans la désignation des choses et des êtres pour qu’un minimum d’ordre règne dans l’univers. Il faut rectifier les noms !!

jeudi 24 novembre 2011

Confucius, les Juifs et le pardon


Maïmonide nous enseigne : si un homme a fauté envers son prochain et désire obtenir son pardon et que cet ami refuse de lui pardonner, il doit lui envoyer trois hommes pour plaider sa cause. Si l’ami refuse toujours, il doit lui envoyer trois nouveaux émissaires, puis trois autres encore, s’ils subissent toujours un refus. Si le pardon est refusé pour la troisième fois, le fautif cessera de solliciter ; c’est l’offensé qui se sera placé lui-même dans une situation difficile. C’est lui désormais le coupable, pour le refus de pardonner.

Rabbi Isaac, de son côté enseigne : celui qui offense son prochain, même par des propos, doit l'apaiser pour être pardonné, comme il est dit (Proverbes 6, 2) : «Mon fils, si tu t'es porté garant pour ton prochain, si tu as engagé ta parole pour un étranger, tu es pris au piège de tes promesses; tu es devenu le prisonnier de ta parole. Vas, insiste avec énergie et livre un assaut à ton prochain.

Pour Levinas, le prochain, mon frère, l'homme, le « petit autre » est, en un certain sens, plus autre que D.ieu, car pour obtenir son pardon le Jour du Kippour, je dois au préalable obtenir qu'il s'apaise. Je dépends donc de cet autre qui pourrait désobéir à la Tradition juive et me laisser à tout jamais impardonné.

Dans la Torah il n’est pas fait mention de la repentance à Kippour mais seulement du devoir de pardonner. La repentance de Kippour n’a été introduite que dans la Loi orale. Le Talmud de Babylone( traité Yoma 85B), nous dit clairement : Les fautes de l'homme envers D.ieu sont pardonnées le jour de Kippour, mais les fautes de l'homme envers autrui ne sont pardonnées qui si on se réconcilie avec lui.

On constate donc objectivement qu’il est beaucoup plus pénible, long et onéreux d’obtenir le pardon de l’autre que le pardon divin. Neuf émissaires, selon Maïmonide, du temps, des efforts et de l’argent pour, en définitive, ne pas obtenir le pardon de son prochain, mauvais coucheur, qui s’entête à refuser alors qu’il n’a plus de raison de le faire, ayant été dédommagé et abondamment supplié. Mais, du moins on aura accompli son devoir.

Il en résulte que le pardon divin serait subordonné à l’obligation de tout homme de demander pardon à son prochain, s’il pense devoir le faire. Et, ne nous trompons pas, les hommes savent pertinemment à qui il convient de demander pardon, pour des raisons diverses et variées. Le font-ils ? Il est permis d’en douter. Il est tellement plus facile de se rendre à la synagogue le jour de Kippour, et ce faisant, de penser être quitte avec D parce que l’on s’est frappé sur la poitrine, que l’on a jeuné une journée entière…. le jour du Grand pardon.

Les juifs auraient tendance à mettre l’accent sur le repentir au jour de Kippour, au retour à Hachém qui, en hébreu, s’appelle Téchouva. En bref, sur le pardon qu’ils sollicitent de D, et qu’ils pensent, de manière générale, obtenir sans trop d’efforts ; et, beaucoup moins à celui que l’on offre à son prochain, et moins encore, à celui que l’on sollicite de l’autre, vis-à-vis de qui on a fauté par l’acte ou la parole.
J’ignore - bien que j’ose l’espérer - si D. pardonne à l’individu, au peuple d’Israël, aux autres Nations de la terre, le jour de Kippour, mais je sais pertinemment si j’ai pardonné ou non à untel qui m’a fait du tort, et mieux encore, si j’ai fait tout ce qui est en mon pouvoir pour me faire pardonner de tel autre à qui j’ai fait mal. La vérité c’est d’abord ne pas se mentir à soi même.

Ce qui signifie tout simplement que la pratique juive (j’ai horreur du terme : « judaïsme ») comporte deux pans : l’un, de nature mystique, théologique, métaphysique, (appelez le comme cela vous chante), qui traite des rapports entre l’homme et son Créateur, et l’autre, bien plus terre à terre, qui traite des rapports entre l’homme et son prochain. Ce deuxième volet a tendance à être largement occulté à bien des égards, comme s’il s’agissait de la portion congrue de la pratique; le pardon que l’on doit solliciter avant Kippour de son prochain, ne représentant qu’une facette.

Par ailleurs, il est légitime de s’interroger : comment et pourquoi D pardonnerait-il au plus « pieux » d’entre nous à Kippour, si ce dernier a négligé de se mettre en harmonie avec ses semblables ? La ferveur à la synagogue mérite t-elle toutes les indulgences divines ?

Si ce raisonnement est juste, il signifie, comme disent nos sages, que Derekh Erets kadma la Torah. Soit, que la voie de la terre, le Dao confucéen, le savoir vivre et le savoir être, a précédé le don de la Torah, et que, la demande de pardon à son prochain doit précéder l’espérance de pardon de la part du Créateur.

C’est sans doute pour cela que je suis devenu un fan de Confucius, qui, pressé de toutes part par ses élèves, pour répondre à leurs justes interrogations métaphysiques, se contente de leur faire observer que tant qu’ils ne sauront pas se comporter correctement dans le monde ici bas, ils n’ont que chercher sur les hauteurs. Ce qui n’implique nullement qu’il ne croyait pas au Ciel mais, que par pudeur ou, selon son ordre de priorités, il se refusait de disserter de ces choses.
La notion confucéenne du pardon se distingue de la conception juive, largement reprise et pas mal déformée par le christianisme  dans la mesure où Confucius se réfère à ce que l’on peut nommer la mansuétude ou, la règle de réciprocité. Dans le Lunyu, Confucius définit la mansuétude, shu, comme une vertu cardinale de son enseignement.

Zigong, un disciple du Maître interroge Confucius : Y a-t-il un maître mot qui puisse guider l'action toute une vie durant ? Le Maître répond : « Mansuétude », n'est-ce pas le maître mot ? Ce que tu ne voudrais pas qu'on te fasse, ne l'inflige pas aux autres.

Un autre terme complète la vision du Maître ; il s’agit de Ren, ou le sens de l’humain. Toujours  Zigong : » Maître, celui qui prodiguerait les bienfaits au peuple et subviendrait à tous ses besoin, ne mériterait-il pas le nom de pleinement humain, Ren ? Le Maître : Ce ne serait plus  le sens de l'humain, ce serait la sagesse suprême (sheng) ; même Yao et Shun y auraient peiné. Pratiquer le Ren, c'est commencer par soi-même : vouloir établir les autres autant qu'on veut s'établir soi-même, et souhaiter leur réussite autant qu'on souhaite la sienne propre. Puise en toi l'idée de ce que tu peux faire pour les autres – voilà qui te mettra sur la voie du Ren".

On voit donc que Confucius se situe à l’amont du pardon, donc de la faute envers autrui. Il s’agit d’étendre à l’autre l’exigence morale qui Doit en premier lieu s’appliquer à soi même. Il s’agit donc moins de la faute commise que de l’état mental qui la précède.

L’approche confucéenne,  bien ambitieuse d’un Tikoun (réparation, amélioration) qui commence par soi même, n’est certes pas étrangère au Judaïsme. Mais les juifs sont réalistes et fondent en définitive assez peu d’espoir dans les capacités de l’individu à ne pas faillir envers son prochain, " le petit autre", pour reprendre l’expression de Lévinas. Il convient donc de légiférer/réguler la relation sollicitateur du pardon - pardonné. Hillel qui résume au Gér (étranger qui souhaite se convertir) l’essence du judaïsme sur un pied, ne rajoute t-il pas à la fameuse maxime « ce qui te fais horreur, ne le fais pas à l’autre », une autre phrase que l’on oublie généralement : «  et maintenant vas et étudies ». La première maxime se rapporte à un idéal, pratiquement impossible à atteindre ; comme le pense également Confucius, la seconde, faite d’efforts, d’étude et d’apprentissage, est la marque de fabrique du judaïsme.

Dans la tradition chinoise, quand le dommage fait à autrui demande réparation, selon sa gravité, il relève plutôt du domaine de l'excuse – comme l’incivilité ou l’atteinte aux rites – ou du domaine judiciaire – le droit pénal prenant le relais de l'idéal ; ce que ne conteste pas la tradition juive.

Demande de pardon pour le Juif, excuse, pour le Chinois ; que ces choses là sont proches.

vendredi 28 octobre 2011

Confucius, un rabbin sans dieu, ni maîtres.

Il y a des grands hommes qui naissent ou survivent par miracle, et il y a des grands hommes qui naissent par nécessité, Ainsi, Jésus est né d'une vierge, Moïse fut miraculeusement sauvé des eaux du Nil et Confucius est né parce que son père ne pouvait se faire à l'idée de mourir sans laisser derrière lui un garçon.
N'ayant eu que des filles, 9 au total, d'un premier mariage, et un fils infirme avec une femme de second rang, le père de Confucius ne pouvait se résoudre à quitter ce monde sans laisser derrière lui un rejeton mâle, normalement constitué qui puisse après lui perpétuer le culte des ancêtres. En effet, comme dans la religion juive, un homme souffrant d'un défaut physique (moum) était considéré comme inapte à servir au Temple de Jérusalem; de même le culte des ancêtres supposait une intégrité physique. Il épousa donc à 71 ans une toute jeune fille qui en avait 15. Même dans la société chinoise, pourtant permissive, une telle différence d'âge était considérée comme indécente, mais la fille était consentante et le vieillard encore suffisamment vert.
Ayant tout de même quelques doutes de pouvoir enfanter, compte tenu de l'âge avancé de son mari, Tcheng-Tsai alla prier en secret dans un temple situé sur le mont Ni-Kieu. Cette nuit là, sur la montagne, elle vit en rêve le Seigneur Noir, qui est aussi appelé le Seigneur des eaux. Il lui dit: « Vous donnerez le jour à un fils, un sage, que vous déposerez dans un mûrier creux ». La légende qui entoure la naissance de Confucius est très poétique; elle fait intervenir une licorne, des dragons, des esprits féminins qui arrosent de parfums la grotte où va naître le bébé, de sources d’eaux chaudes pour laver le petit corps. Légende ou réalité, peu importe; il y a quelque chose de certain dans tout cela dans la mesure où le nom chinois de Confucius, Kong signifie « creux », comme le mûrier. Au moment de l'enfantement, la légende nous dit qu'une voix céleste dit à la mère: « le Ciel ému par vos prières vous a donné un fils saint ».
Cette prière au Ciel d'une femme qui souhaite donner naissance à un enfant mâle alors que les conditions objectives sont problématiques, me fait penser à Hana, épouse sans enfant d'Elkana. La Haftara (passage de la Bible situé chez les Hagiographes et les Prophètes) que l'on lit à Roch Hachana, nous raconte que Hana se rend à Chilo, là où se tenait le Sanctuaire, avant que le roi Salomon n'y construise le Temple, pour prier D. afin d'avoir un enfant. En fait, comme Tcheng- Tsai, elle grimpe sur une montagne - parce que ce genre de prière ne se prononce ni dans un endroit creux, ni même dans la plaine - et épanche son cœur en pleurant d'abondance. Au point que le Grand Prêtre Eli qui siégeait à Chilo pensa d'abord qu'elle était saoule.

Finalement Eli comprit son erreur et bénit Hana pour que Dieu exauce sa requête. La même année Hanna donna naissance à un fils qu’elle nomma Samuel (D. m'a entendu) Quand elle l’eut sevré, elle accomplit son vœu de le consacrer à l'Eternel et Shmouël devint l’un des plus grands prophètes d’Israël.
Les deux histoires sont si belles que leur degré de véracité n'a guère d'importance. Ce qui compte, c'est l'arrivée parmi les hommes de deux personnages considérables qui naissent parce que leurs pères ou mères l'ont voulu absolument, pressentant que leur rejeton sera un homme d'exception dont l'humanité ne pourra se passer.

Une autre similitude entre Shmouël et Kong réside précisément dans le choix du nom par la mère. Le Seigneur Noir annonce à Tcheng-Tsaï que son fils naîtra dans ce qui ressemble à un mûrier creux; et elle appelle son enfant « Creux ». Hana, dans la grande tradition biblique nomme son fils "Dieu a entendu", comme Agar nommera son fils Ismaël, « Dieu entendra ».

Cette histoire de mari âgé me fait également penser à Sarah qui eut l'outrecuidance de s'esclaffer lorsque Dieu lui annonça qu'elle donnerait naissance à un enfant, compte tenu de l'âge d'Abraham et du sien.

Quant à la physionomie de Confucius, les avis divergent. Certains prétendent qu'il avait le crâne aplati en son milieu et légèrement relevé sur les bords; ce qui correspond à la topographie de la colline sur laquelle sa mère est allée prier; Kieou désignant un tertre creux. Les deux légères protubérances des deux cotés de la tête ont fait pensé à certains que Confucius avait deux cornes, un peu comme Moïse; du moins tel qu'il est représenté dans certains tableaux et gravures fort peu cacher - le mot kérén en hébreu signifiant aussi bien « corne » que « rayon de lumière », kérén or . D'autres disent qu'il avait le front haut et un peu bosselé. Quoi qu'il en soit, c'était un grand gaillard costaud qui dépassait par la taille la grande majorité de ses concitoyens. Il n'avait rien d'un personnage ascétique; ses contemporains prétendent même qu'il était même un peu gourmet; ce qui peut laisser penser qu'il était carrément gourmand. Donc, rien avoir avec un moine bouddhiste efflanqué et malingre, adepte des jeûnes et des privations. Enfant pauvre mais descendant de d'une grande dynastie, il put suivre un cursus scolaire classique et fut rapidement nommé intendant des greniers publics puis surveillant des pieux auxquels on attachait les bœufs et les moutons voués au sacrifice. Une sorte d'expert comptable ou d'Inspecteur des finances. Et, à l'âge de 22 ans, comme Rashi de Troyes, il ouvrit sa propre école. On pourrait aussi dire son Collel ou sa Yéshiva. Il enseignait l'histoire, les Actes des Rois, dans le Livre des Documents, la chronique de son pays. En fait son étude portait sur les traditions reçues de l'Antiquité. Confucius soutenait qu'il n'innovait pas et ne faisait que transmettre. En hébreu cela s'appelle la Cabala, dans l'acceptation littérale du terme; à savoir réception et transmission de ce que l'on a reçu de ses maîtres. Chez les juifs, il est malséant de ne pas citer les maîtres de qui on a appris telle ou telle chose.

Les jeunes nobles chinois qui suivaient son enseignement à l'instar des étudiants qui vont étudier chez un Rabbi se méfiaient des innovateurs ; ce qui leur importait c'est de se voir transmettre la sagesse accumulée la plus pure. Les Chinois désiraient recevoir la sagesse des Anciens rois à laquelle Confucius se réfère sans cesse. « Je transmets et n'innove pas (VII 1). Les talmudistes étudient la Loi orale transmise de Rabbi à Rabbi et ce, depuis Moïse qui l'a reçue au Mont Sinaï.

Vrai ou faux, la modestie excessive de Confucius me semble légèrement suspecte. Il devait quand même innover quelque peu, sinon il n'aurait pas connu ce succès considérable, et de son vivant, qui plus est. Charisme certainement, intelligence sans aucun doute, mais aussi un grain de prophétie ou du moins une croyance dans sa mission de transmetteur; de cabaliste: « Le Ciel se sert de votre Maître comme d’une cloche à battant de bois pour avertir le peuple (L.Y III 23). Le problème c'est que le mot Cabala s'est transformé, et, oserais-je dire s'est dénaturé au fil des siècles. Je vous conseille de lire le Livre « La Cabale » du Grand Rabbin Alexandre Safran Zal, ancien grand rabbin de Roumanie et grand rabbin de Genève (Payot, 1988). Certains d'entre vous seraient bien déçus, car sur des centaines de pages le Rabbin Safran n'aborde que très exceptionnellement la Cabale ésotérique, si à la mode de nos jours.
Comme dans le Pirqei Avot, ce qui compte, c'est l'enseignement reçu et transmis, accompagné de la touche personnelle de chaque rabbin faisant partie de la chaîne, qui n'innove pas, mais insiste sur ce qui lui paraît fondamental.

Là où Confucius se distingue des rabbins, c'est dans le mystère qui entoure ses maîtres. Se référer sans cesse aux Anciens Rois, c'est très bien mais n'importe quel érudit chinois d'envergure aurait pu en faire autant et se réclamer des mêmes rois et des mêmes manuscrits anciens. Pourquoi Confucius a émergé du lot des Lettrés chinois qui ont reçu le même enseignement que lui, et pourquoi est-ce sa Torah, son enseignement, qui a traversé les millénaires? Et ceci est d'autant plus étonnant qu'il s'agit d'un enseignement clair, qui fait appel à la raison et au cœur et non d'un enseignement abscons et ésotérique à qui l'on peut faire dire une chose et son contraire. Jetez un coup d'œil sur les rayonnages de vos librairies préférées; elles abondent d'ouvrages respectables sur le Tao, le Bouddhisme, le Dalaï Lama, le Yoga, la Cabale, version juive, chrétienne ou arabe, le Soufisme, l'ésotérisme en tous genres, la Gnose, les Evangiles apocryphes, et j'en passe. Et cherchez un ouvrage documenté et sérieux sur Confucius. Bon courage!

Le destin de Confucius apparaît à sa mère, largement enceinte dans son sommeil, par un animal disposant d'une seule corne au milieu du front et couvert d'écailles comme un dragon: une licorne chinoise en quelque sorte. Il s'agit du Ki-Lin, précise à sa femme le père de Confucius. L'animal s'agenouille devant Tcheng-Tsai et vomit une pièce de jade sur laquelle il est écrit: « Un enfant né de l'essence de l'eau succédera à la dynastie décadente des Tcheou comme un roi sans couronne ». Heureusement pour nous car un roi est éphémère et ne règne que sur un seul Etat; Confucius est là pour l 'éternité.

Le « milieu juste » pour Maïmonide et Confucius

Maïmonide s’est fait connaitre par son livre philosophique Le Guide des Egarés, Moré Névoukhim qui eut un retentissement considérable auprès des juifs et des non-juifs. Ce livre est à l’origine destiné aux juifs croyants tourmentés par le conflit qu’ils perçoivent entre la pratique du judaïsme et les idées philosophiques, essentiellement aristotéliciennes qui sont dans l’air du temps, et qui les éloignent de la pratique. Cette difficile conciliation entre raison et foi, commune à tous les hommes, et à toutes les époques ou presque a contribué au succès de l’oeuvre.

Mais l’œuvre maitresse de Maïmonide est antérieure au Guide des Egarés; elle s‘intitule Mishné Torah, ou La Seconde Torah. C’est une œuvre d’une considerable ambition, car Maïmonide soutient que si elle n’annule pas la Loi orale, elle la remplace. Maïmonide part du principe que les juifs éclatés à la surface de la terre ne sont plus en mesure d’étudier le Talmud; ils n’ont plus les maîtres qu’il y avait jadis, et puis ils ne maîtrisent pas l’araméen. Aussi, il prend sur lui de construire une compilation magistrale et ordonnée de l’ensemble de la Loi orale, en une langue hébraïque pure. Ainsi les juifs auront à leur disposition deux livres qui devront leur suffire: la Torah écrite, le Tanakh, avec ses commentaires, et le Mishne Torah qui leur indiquera ce qui est permis et ce qui est interdit Assour vé Moutar

Le premier tome du Mishne Torah s’intitule Sefer haMada, Livre de la Connaissance. Il est décomposé en cinq traités.

Le premier traité s’intitule Yessodei haTorah bases de la foi juive. Il disserte de l’Unité de Dieu, de son incorporalité, du Libre-arbitre, de la prophétie. Ce livre pose les bases du monothéisme, pierre angulaire de la foi mosaïque

Le second traité s’intitule Déot, soit littéralement « opinions ». On y reviendra.

Le troisième traité : Hilkhot Talmud Torah parle des règles concernant l’étude de la Torah. Qui doit étudier et quoi étudier, qui ne doit pas étudier et pourquoi. Le respect envers les maîtres. L’étude de la Torah sous ses différentes formes est essentielle dans le Judaïsme. Tout homme qui s’y soustrait, alors qu’il en a le temps, les capacités intellectuelles, et les moyens financiers minima, commet une faute comparable à celle de l’idolâterie.

Le quatrième traité s’intitule Avodat Kokhavim ve’Houkat haGoyim, Idolâtrie (ou plus précisément, Au service des étoiles) et lois des non juifs. Il parle évidemment de l’idolâtrie, de la magie, des superstitions, des tatouages, qui sont interdits. Ainsi Maïmonide dresse la frontière entre la magie ou les soi disant miracles qui ne sont pas commandés par Hachém, ou qui n’ont d’autre utilité que de servir de faire valoir au faux prophète ou au magicien.

Le cinquième et dernier traité du Livre de la Connaissance s’intitule Hilkhot Teshouva, Règles du Retour, soit, du Repentir. Maïmonide y traite non seulement du repentir, de l’aveu des fautes, mais aussi de l’immortalité de l’âme et de sa destinée dans le monde à venir, du Messie et de la résurrection des morts. Mais ceci n’est pas notre sujet aussi je vous propose de revenir au second traité celui des « opinions ».

Pour notre propos il convient de remarquer que le traité qui suit immédiatement l’acceptation par le juif de l’unicité de Dieu et qui définit le le rapport entre l’homme et son Créateur, ce qu’en hébreu on intitule bén Adam la Makom, entre l’homme et le Lieu; le second traité, Déot, s’occupera du rapport entre l’homme et l’homme, ben adam lékhavéro. Déot correspond à la vision de Maïmonide des Pirquéi Avot, les Maximes des Pères. Le troisième traité qui le suivra abordera l’étude de la Torah.

Cette logique maïmonidienne s’apparente à la fameuse maxime d’Hillel où, l’aspirant à la conversion au Judaïsme, qui est par définition convaincu de l’unicité de Dieu (sinon qu’est ce qu’il viendrait faire dans cette galère), demande à Hillel de lui résumer toute la Loi sur un pied. Et Hillel de lui répondre qu’il ne doit pas infliger à son ami ce qu’il n’apprécierait pas que son ami lui infligeât, et qui, d’un même souffle ajoute « maintenant vas et étudies ! ». La seconde proposition est indissociable de la première « l’homme ignorant ne saurait être pieux ». Le Judaïsme va bien au delà de la morale, mais, un comportement correct fait aussi partie du Judaïsme.

La Métaphysique, entendue au sens, le plus large sera traitée par Maïmonide dans le Quatrième et cinquième traité.

En fait, le mot Déot semble impropre pour désigner de ce dont Maïmonide va aborder dans ce chapitre. Le Rambam nous parle des prédispositions des hommes, tous différents les uns des autres, et de la manière de canaliser ses propres pulsions, dans son propre intérêt, afin de vivre en paix avec soi même et que les hommes vivent à peu près en harmonie les uns avec les autres. Il eut été à priori plus juste d’employer le mot Midot que Déot. Midot signifiant traits de caractères, alors que Déot qui vient du mot Daat, savoir, connaître, implique à priori un certain libre-arbitre dans le comportement. On peut choisir de se comporter ainsi ou autrement.

En fait, le choix de ce mot Déa dérivé de Daat, la connaissance, s’explique parce que Maïmonide estime que l’homme est capable de choisir un chemin même si celui ci est éloigné de ses pulsions profondes, Midot. Qu’il est capable de s’améliorer, même si cela lui est difficile.

Il y a un homme de tempérament nerveux, très nerveux, et qui se met toujours en colère et, il y a un homme calme, qui ne se met jamais en colère ou alors fort rarement. Il y a un homme orgueilleux et, à l’inverse, un homme complètement effacé. Rambam cite des attitudes extrêmes, tant sur le plan de l’amour, de la cruauté, de l’envie compulsive de posséder des biens matériels ….

Il ne faut jamais oublier que Maïmonide était médecin à l’époque où les spécialisations n’existaient guère. Il se considère aussi féru en diététique, en pharmacologie qu’en psychologie.

Et, Maïmonide d’affirmer que toute opinion-prise de position-prédisposition-trait de caractère, qui se situe aux extrêmes, est mauvaise, et qu’il convient d‘adopter la derehk hayéchara, soit la voie droite ou juste. Qu’est ce que la voie juste ? Le Rambam y répond: c’est la mesure, Mida du verbe Limdod, mesurer, (que l’on doit prendre au sens géometrique du terme), et qui correspond à la voie moyenne ou médiane. C’est la voie qui se situe précisément à égale distance des extrêmes. C’est la voie du milieu juste.

Donc, Maïmonide, qui est d’une précision extrême dans le choix des termes, emploie le mot Déot à dessein. En effet, outre l’inclinaison naturelle de chaque homme, il y a aussi ce que l’on observe sur les autres et qu’on a envie de calquer ou, ce que les autres pensent de vous et le choix de s’y conformer. Dans ce cas, le Daat ou connaissance, se substitue au mot Mida, mesure. Mida est une donnée objective: on est comme ci ou comme ça. A l’inverse Déa est un choix. Il y a l’inné à la naissance et l’acquis au fil des années.

Et Maimonide de confirmer « C’est pour cela que les Premiers Sages ont ordonné que l’homme oriente toujours ses déot au centre, le milieu géometriquement juste, en ayant mesuré au préalable la distance qui sépare ses pulsions des extrêmes. Ceci, afin que l’homme soit chalém bégoufo, entier ou en harmonie dans son corps. Ainsi il s’éloignera de la colère mais aussi de l’apathie et de l’indifférence, qui, pour Maïmonide, est une forme de mort. Ainsi il ne se mettra pas en colère à tout bout de champ mais seulement de façon exceptionnelle et, seulement s’il considère que sa colère est justifiée (Plus loin, Maïmonide précisera qu’en fait il faut seulement feindre la colère et surtout ne pas être envahi par elle). De même, il ne recherchera que les nourritures qui sont bonnes, justes et suffisantes pour son corps et ne mettra pas une énergie démesurée dans ses affaires, mais juste de quoi satisfaire ses besoins immédiats. De même, il ne dilapidera pas sa fortune mais fera la Tséddaka, la charité aux pauvres et prêtera à celui qui en a besoin. Il ne sera ni pitre ni rigolard mais pas non plus triste et désespéré; simplement content, et présentant un visage bienveillant en toutes circonstances. Et il en va de même du reste. Les hommes qui adoptent cette attitude médiane, du milieu juste, sont appelés Sages, Hakhamim. Ce qui implique bien evidemment que nous ne sommes pas bien nombreux à y parvenir

Les Hakhamim ont une autre caractéristique: Ils sont avares en paroles. Les sages nous disent « je n’ai rien trouvé de meilleur pour le corps que le silence ». Quant à l’enseignement, le sage devra condenser son enseignement en peu de paroles et beaucoup de contenu; le tout prononcé d’une voix agréable à entendre

L’homme sait que l’envie, le jalousie, la gourmandise, la recherche des honneurs sont nocives, alors, il se dit: je vais m’en éloigner jusqu’à l’opposé. Je ne mangerai plus de viande, je ne boirai plus de vin, je ne prendrai pas de femme, je n’habiterai pas dans une maison confortable, je me vêtirais du sac le plus ordinaire, comme le font les prêtres des autres nations qui pratiquent l’idolâtrie. Ceci est une faute comparable à l’excès inverse, et celui qui pratique cette voie est appelé pécheur. En effet, le Nazir ne se prive que de vin, comme il est indiqué dans la Torah. Ceux qui fixent d’eux mêmes leurs objets de privation, qui n’ont pas étés spécifiés par la Torah, transgressent les Commandements. Les sages ont formellement interdit à l’homme de s’infliger des privations et des jeûnes à tout bout de champ. Et c’est ainsi que le roi Salomon a dit: « ne soit pas trop Tsaddik et pas plus ‘hakham qu’il ne t’a été ordonné dans la Torah »

Enfin, l’homme a une tendance naturelle à se lier avec ses amis et ses voisins, selon les coutumes de sa province. Les Hakhamim nous conseillent de nous éloigner des pécheurs qui cheminent dans l’obscurité, afin de ne pas apprendre de leurs actes, et de se rapprocher des sages et des gens bien. Et si, dans l’Etat ou la région dans laquelle il réside, il n’y a que des fauteurs et point de sages, alors l’homme doit quitter sa patrie et installer sa maison là où se trouvent des sages et des hommes de qualité. S’il lui est impossible de se déplacer, il est préférable qu’il reste seul; quitte à s’installer dans le désert..

Ce qui précède résume rapidement le traité Déot. Voyons un peu quelle est la position de Confucius sur le Juste milieu. Quelques citations du Maître nous éclairent:

Le Maître dit : « La Vertu qui se tient dans le milieu juste n’est-elle pas la plus parfaite ? Peu d’hommes la possèdent, et cela depuis longtemps. »(VI.27).

Tzeu lou était d’un caractère raide et impétueux. Les sons de sa cithare imitaient les cris que poussent les habitants des contrées septentrionales au milieu des combats et des massacres. Le Maître l’en reprit, en disant : « Dans mon école, le milieu juste et l’harmonie forment la base de l’enseignement. La cithare de Iou manque tout à fait d’harmonie. Pourquoi se fait-elle entendre chez moi ? » XI.14.

Le Maître dit : « Comme je ne trouve pas de disciples capables de se tenir constamment dans le milieu juste, je cherche des hommes qui sont impétueux, ou des hommes qui ont l’amour du devoir (XIII.21)

L’empereur Iao dit : « Eh bien, Chouenn, voici le temps fixé par le Ciel pour ton avènement. Applique-toi à garder en toutes choses le milieu juste. Si par ta négligence les ressources venaient à manquer, le Ciel te retirerait à jamais le pouvoir et les trésors royaux. » Chouenn transmit à son tour le mandat à Iu, son successeur……(XX.1)

Confucius, comme Maïmonide, utilise le terme du milieu juste géométrique, plutôt que du juste milieu philosophique et moral. Les déviances qui écartent l’homme du milieu géométrique de la Voie droite, sont nocives pour lui même, comme elles le sont pour les autres. Elles sont aussi à l’origine du chaos social et politique, qui intéresse au plus haut point Confucius. Si Maimonide était médecin, Confucius était un conseiller politique qui ambitionnait d’amener le prince à adopter la voie juste, dans son intérêt et de celui de ses sujets. Leur démarche est pratiquement identique, souvent au mot près.

Pour ce qui est de la vertu du silence, Confucius dit à ses disciples: « Je voudrais ne plus parler … Le Ciel parle t-il et pourtant les quatre saisons suivent leur cours et tous les êtres se développent ». Là aussi identité de vue.

Confucius n’était pas un homme à se confondre dans la mortification ou la délectation morose. Il était même un peu gourmet, mais partisan de l’équilibre en toutes choses. « Etre capable de réaliser cinq choses dans le monde, c’est le Jen, à savoir: le respect de soi, la magnanimité, la loyauté, la fidélité, la diligence, la bienfaisance… Alors on peut diriger le monde ( LY XVII 6)

A un élève qui l’interroge: « faut-il rendre le bien pour le mal? », le Maître répond: « Et que rendriez vous pour le bien ? Il faut répondre au mal par la rectitude et à la vertu par la vertu ». Autrement dit, non seulement il ne faut pas se laisser duper mais encore moins tendre l’autre joue.

Confucius, à l’égal de Maïmonide n’avait rien d’ésotérique. Il évitait de parler de choses mystérieuses, ou de prodiges. Il n’abordait qu’avec de rares privilégiés les questions de la perfection de l’humanité, de l’essence de l’homme ou, de la Voie du Ciel. Par contre, indubitablement, il se sent investi d’une certaine mission prophétique. « Le Ciel se sert de votre Maître comme d’une cloche à battant de bois pour avertir le peuple (L.Y III 23) et « Après que le roi Wen eut disparu, sa doctrine ne m’a t-elle pas été confiée. Le Ciel ne m’en aurait-il pas fait l’héritier »

Le Ciel aurait investi Confucius d’une mission, mais, Confucius, à l’inverse de Moïse, n’a jamais entendu la Parole divine. Confucius n’a pas reçu la révélation directe au Mont Sinaï, et, quelque part, il semble le regretter. Cela transparaît comme une frustration dans son message et se matérialise non pas par la négation du Ciel mais par son occultation.

Mais quelle est donc cette voie de l’homme, jen tao, quels accomplissements réclame t-elle de nous, et si on étudie, finalement qu’étudie t-on, puisqu’aucun panneau indicateur d’un impératif catégorique ou d’un commandement divin ne se trouve sur cette voie (Pierre Do-Dinh., Confucius et l’humanisme chinois ,page 95)

Ah que Confucius aurait été comblé d’assister au Matan Torah au Mont Sinaï !!