Dés sa création à partir de la glaise, et, avant que D ne lui
adjoigne une compagne, le premier homme,
Adam, se voit assigner une mission d’importance. Il est écrit : « D. forme à
partir de la terre-argile (« glèbe », selon Chouraqui) tout animal des champs et tout volatile des
cieux et les fait venir à l’Adam (« le
glébeux », toujours selon Chouraqui), pour voir comment il les nommera, et,
tout nom que le Adam attribuera à l’être
vivant, c’est son nom (à jamais). Et le Adam attribue des noms à tout le bétail,
aux oiseaux des cieux et à tous les animaux des champs ».
Imaginez-vous la scène : D. fait passer tous les animaux de
la terre qu’Il a créés, avec de l’argile, devant Adam, fabriqué de la même
matière qu’eux, et les fait défiler devant lui, mâle et femelle, puis se met en
retrait afin d’observer Adam pour voir comment il se débrouillera. La tache du
premier homme consiste à leur trouver un nom. Ce nom n’est pas neutre ; sa
finalité est de définir leur essence et le rôle qu’ils vont devoir jouer dans
le grand zoo qui s’intitule la Terre.
Plusieurs questions se posent :
- Pourquoi D. qui attribue un nom à l’homme, ne fait pas de
même pour les animaux ?
- Pourquoi D. se tient en retrait en observant l’homme en
train de nommer les animaux ?
- En quelle langue sont nommés les animaux ?
L’explication communément avancée par les rabbins pour
désigner ce passage est que D. fait défiler les bêtes devant l’homme pour
qu’éventuellement il se trouve une compagne parmi celles-ci. Peut-être, mais
avouez que c’est bien insuffisant; il n'était pas obligé de les nommer.
Donner un nom à une chose ou à un être vivant ; par
exemple, attribuer à un enfant qui vient
de naitre le nom qu’il portera pour toujours, désigner un invention-innovation,
donner un nom à une œuvre littéraire ou, appeler un chat, « chat », est à la fois signe de possession /
autorité sur la chose nommée, et enjoint à la chose/être nommé(e) une
trajectoire, une vocation dans le
futur et, contribue à mettre de l’ordre
dans l’univers.
Ainsi, si je nomme un morceau de tissu, "torchon"
ou "caleçon", je définis sa fonction/mission jusqu’à sa disparition physique.
Si je nomme un loup, "agneau", cela implique que je dois l’installer
dans la bergerie, et alors, « bonjour le désordre ! De même, si un chef d’Etat
nomme un politicien véreux et/ou incompétent, Ministre des Finance, le pays perd perds son triple A.
Voyons ce qu’en pense Confucius: Tzeu lou dit : « Si le prince de Wei vous
attendait pour régler avec vous les affaires publiques, à quoi donneriez-vous
votre premier soin ? – A rendre à chaque chose son vrai nom », répondit le
Maître. « Vraiment ? répliqua Tzeu lou. Maître, vous vous égarez loin du but. A
quoi bon cette rectification des noms ? » Le Maître répondit : « Que tu es
rustre ! Un homme honorable se garde de se prononcer sur ce qu’il ignore. Si les noms ne sont pas ajustés, le langage n’est pas
adéquat. Si le langage n’est pas adéquat, les choses ne peuvent être menées à
bien. Si les choses ne peuvent être menées à bien, les bienséances et
l’harmonie ne s’épanouissent guère. Les bienséances et l’harmonie ne
s’épanouissant guère, les supplices et les autres châtiments ne sont pas
justes. Les supplices et les autres châtiments n’étant plus justes, le peuple
ne sait plus sur quel pied danser. Tout ce que l’homme honorable conçoit, il
peut l’énoncer, et l’énonçant il peut le faire. L’homme honorable ne laisse
rien à la légère. » ( Linyu XIII.3)
Confucius, qui, à ma connaissance n’était pas familier avec
le texte de la Genèse, avait compris - je ne sais trop comment - que
l’essentiel , dans la politique comme dans toute œuvre humaine, était de nommer
les choses par leur nom juste. Parce que le nom juste conduit à un projet
souhaitable; donc à une réalisation qui correspond au projet. Le nom est donc
normatif et, nommer, conduit non seulement à être mais aussi à devoir être. Le
nom oblige.
Pour Confucius, si untel est nommé ministre, son nom l’oblige
à se comporter comme tel. Si un fils nomme son père « père », il prend sur lui
toutes les obligations filiales qui en découlent. Quand le Gouverneur de Che se
vente que dans son pays il y avait des gens assez probes pour témoigner contre
leur père, quand il volait un mouton, Confucius rétorque : « Chez nous les
gens agissent tout différemment : les fils couvrent leurs pères et les pères
couvrent leurs fils ; c’est là que se trouve la droiture »
La recherche du mot juste pour désigner la chose, relève chez
Confucius de l’obsessionnel. Peut-être à juste titre d’ailleurs, car il y a la
chose, et son apparence, et on a tôt fait de les confondre. Il faut se garder
d’accoler trop vite un nom à ce que nous voyons, car alors on risquerait de
désigner l’apparence et non l’être. La précipitation à nommer, et, à parler en
général, peut engendrer des conséquences désastreuses. C’est une des raisons pour lesquelles le Maître est
aussi avare en paroles et accorde une si grande importance au silence. «
J’aimerais ne pas parler... »
L’Adam, qui avait été conçu à la réplique et à la
ressemblance de D., possédait par conséquent
un QI supérieur même à celui d’Einstein; les Textes nous disent, qu’il
était en mesure de voir jusqu’à l’extrémité du monde, donc, aussi, jusqu’à la fin des temps. Sa vision limpide
de l’espace-temps; lui-même étant matière animée et pensante grâce au souffle
divin, lui interdisait de commettre une erreur aussi grossière que de désigner
le loup, « agneau ». Il savait que toute
erreur de désignation pouvait entrainer le monde au chaos originel ; son choix
de nom pour les êtres animés se devait d’être parfait. Et surtout immuable. Le
chien,chien, sera chien et s’appellera « chien » pour toujours, et surtout, se
verra attribuer la mission d’un chien, afin qu’il soit et demeure dans le rôle
qui lui était imparti, et afin que l’ordre règne dans l’univers.
D. se place en retrait et observe avec bienveillance l'Adam,
l’être créé à Sa Ressemblance, nommer les créatures vivantes créées par Lui,
non pas, parce qu’Il n’a pas le pouvoir/savoir de le faire, mais pour laisser à
l’homme le soin de diriger le monde qu’il n’a pas construit, et de tenter d'y installer une certaine harmonie.
Adam, en véritable superman, accomplit la tâche de départ qui
consiste à compléter l’œuvre divine en mettant de l'ordre dans l’Univers, qui
vient tout juste de naître, en désignant les choses par leur nom, donc, en
plaçant chaque chose et chaque être à sa place. Les aléas de l’histoire et la
stupidité des hommes vont entrainer une confusion entre le nom et la chose désignée : l’amour
devient perversion, le pouvoir qui se doit d’être au service du
peuple, l’asservit et l’humilie, d’où désordre et misère. Arrive Confucius qui
nous dit que dans une société imparfaite, l’important est : « de rectifier les
noms » … qui se sont pervertis.
Adam a fait du bon boulot ; la meilleure preuve, D. l’a
laissé faire sans intervenir. Il le récompense même pour ce travail en lui
fabriquant une compagne.
Une question demeure irrésolue: en quelle langue Adam désigne
t-il les animaux ?
La tradition juive voit dans l’hébreu, la langue originelle
qui donna naissance aux autres langues. Une étroite parenté entre l’hébreu et
les autres langues a pu être constatée entre les termes se rapportant aux
éléments dont l’usage était connu aux stades primitifs
de la civilisation : nom des planètes et des astres, nom des minéraux, nom des
plantes, désignation des êtres humains (âge, sexe, parties du corps, famille et
parenté), désignation de l’espace et du temps, des nombres et des mesures,
désignation des métiers ou activités primaires, de la guerre et des armes et, bien entendu … nom des animaux. La démonstration
serait longue et n’apporte rien à notre sujet. Il est donc plus que vraisemblable
qu’Adam ait nommé les animaux en hébreu.
Mais ce sont là des
chinoiseries juives. Une chose est certaine: Confucius s’inscrit en droite
ligne de l’Adam pointilleux dans la désignation des choses et des êtres pour
qu’un minimum d’ordre règne dans l’univers. Il faut rectifier les noms !!
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