mercredi 30 novembre 2011

Confucius, le Hassidisme et la Realpolitik



Confucius attendit l'âge de 50 ans pour acquérir de véritables responsabilités. Il fut nommé Ministre de la Justice, puis Premier ministre du prince Lu dans la province de Zhongdu. Un de ses faits d’armes, non violent, fut de récupérer par la ruse des villes et des territoires que son maître avait perdues au profit d’un autre seigneur, le Prince de Qi, en lui faisant perdre la face. Ce qui en Chine est le plus sur moyen de remporter une victoire.

Confucius, malgré son humanisme, n’est pas un tendre lorsqu’il s’agit des Affaires de l’Etat. En tant que Premier ministre, il n'hésite pas à condamner à mort un officier, nommé - ironie de l'Histoire - Mao  (Shao Zheng  Mao) au sujet duquel il est écrit: "Il suffit qu'il soit quelque part pour que les disciples s'assemblent en foule autour de lui, il suffit qu'il  parle pour travestir la vérité et semer partout le doute, il suffit qu'il  exprime avec force une idée pour qu'elle soit pernicieuse et soutenue avec la dernière opiniâtreté. Cela fait de lui  un phénix parmi les gens de rien ; il était impossible de ne pas le  condamner." (In Xun Zi, VIII, 2. Traduction de I.P. KAMEROVIC).

Confucius n'est pas un adepte de la peine de mort, mais n'hésite pas à l'appliquer quand un énergumène acquiert trop d'importance et met en danger l'ordre public.
 Son humanité, nous le constatons,  n'empêche pas la fermeté la plus extrême. Il est important de signaler que Mao ne fut exécuté qu'après que l'on eut tout fait pour le rééduquer afin qu'il revienne sur ses mauvais agissements. En hébreu, on utilise l'expression faire Techouva, revenir sur ses agissements. Mao, irrémédiablement mauvais et incapable de se corriger, il n'y avait d'autre solution que de le mettre à mort. Ce qui n’empêche pas le maître de dire: « Si des princes vertueux se succédaient sur le trône durant cent ans, ils vaincraient les scélérats, et élimineraient la peine de mort » (XIII.11)

On voit donc que le nécessaire réalisme dans la gestion du quotidien de l'Etat n'empêche pas Confucius d'espérer des temps idylliques où le loup cohabitera avec l'agneau; ou plutôt où la méchanceté du loup aura disparu de la surface de la terre. En cela il me paraît très proche du Judaïsme.

Le cas de Mao mis à mort est unique dans la littérature confucéenne connue et à ce titre a valeur d'exemple. Il me fait penser au cas du Bén Sorér ou Moré cité dans le livre de Devarim: « Si un homme a un fils dévoyé et rebelle, sourd à la voix de son père comme à celle de sa mère, et qui, malgré leurs corrections, persiste à leur désobéir, son père et sa mère se saisiront de lui, le traduiront devant les anciens de sa ville, au tribunal de sa localité, et ils diront aux anciens de la ville: "Notre fils que voici est dévoyé et rebelle, n'obéit pas à notre voix, s'adonne à la débauche et à l'ivrognerie." Alors, tous les habitants de cette ville le feront mourir à coups de pierres, et tu extirperas ainsi le vice de chez toi; car tout Israël l'apprendra et sera saisi de crainte ». (Devarim 21-18, début de la Parasha)

Intéressant et édifiant, si ce n'est, nous dit le Talmud (Sanhedrin 71a), que cette situation ne s'est jamais produite; aucun fils indigne ne fut mis à mort. Il s'agit donc d'un cas théorique qui n'aurait jamais existé. Il est là pour illustrer des valeurs fondamentales du Judaïsme. Comme le cas de Mao mis à mort, le Ben Sorer ou Moré, revêt une valeur d’exemple, pour dissuader les mécréants et les fauteurs de trouble.


Confucius attendit également l'âge de 50 ans pour devenir un vrai Maître, reconnu et suivi.  On dit qu’il eut quelques 3000 disciples, parmi lesquels 72 (selon d'autres : 70 ou 77) seulement le comprenaient; sinon parfaitement, du moins, correctement. 
Le chiffre de 72 dans la symbolique chinoise  serait le produit du plus haut chiffre mâle Yang  9, par le plus haut chiffre femelle Yin, 8, soit un nombre quasi parfait. (Rémi Mathieu, L’invention de humanisme chinois, note 12 page 22). 72, ou 70, nous renvoie sur la numérologie  hébraïque où il revêt également une très grande importance.

- Le grand Sanhédrin, ou Grand Tribunal,  comporte 70 membres, en référence aux 70 Anciens qui accompagnaient et assistaient Moïse (Nombres 11:6) dans le désert. On cite le chiffre de soixante dix, mais en fait ils étaient 72, puisque deux d’entre eux, Eldad et Medad,  étaient restés au camp.

 - La traduction de la Bible de l'hébreu en grec, à la demande de Ptolémée II, fut effectuée par 72 rabbins ( 6 par Tribu); ce qui ne l'empêcha pas d'être appelée les Septante.

- 72 peuples ou races naquirent des 3 fils de Noé (Genèse 10) : 15 de Yafét, 30 de Ham et et 27 de Chém

- A la destruction de la Tour de Babel, les hommes furent dispersés à la surface de la terre, et il naquit 72 langues.  Dans un  texte apocryphe des manuscrits de Nag Hammadi, « Le concept de notre grande puissance », il est confirmé que Noé prêcha dans 72 langues différentes.

- 70 Hébreux rentrèrent avec Jacob en Egypte

- Selon la Cabale, le grand nom de D. ou Chém Haméforach  est composé de 72  lettres

- Le chiffre 72 est également repris dans le Nouveau Testament: 72 disciples furent envoyés par Jésus (Luc 10:1)

- 72 est également le nombre des immortels taoïstes.

La nature du rapport entre Maitre Kong et ses élèves n'est pas sans faire penser aux mouvements hassidiques; ceux qui émergèrent au XVIII e siècle avec le Baal Shem Tov, comme ceux qui liaient les Tanaïm du  Talmud, tels Rabbi Akiva, à ses élèves.

Tana en araméen correspond au mot Shana en hébreu qui signifie: "répéter ce que quelqu’un a enseigné" et, plus simplement "étudie"r. De la provient le mot Mishna. Approximativement 120 Tanaïm sont répertoriés dans le Talmud, et, à coup sur, Rabbi Akiva fut l'un des plus importants d’entre eux.

Rabi Akiva eut, selon la tradition 24000 élèves; soit un chiffre considérable, à rapprocher des 3000 élèves de Confucius, mais peu d’élèves proches, qui devinrent eux-mêmes des maitres réputés. On peut citer Rabbi Meir Baal Haness, Rabbi Shimon bar Yohaï, Rabban Gamliel, et peut-être Rabbi Yehuda haNassi lui-même.

Les relations entre le Maître, le Tsaddik, et ses Hassidim,dans la tradition  juive ressemble à s’y méprendre à celles qu’entretint Confucius avec ses principaux élèves; ceux qu’il estimait et aimait. Ils passaient le plus clair de leur temps ensemble, quitte à ce que les élèves suivent le maitre dans ses déplacements.   Dans la tradition juive, il y a les maîtres qui ont un domicile fixe, où se rendent les élèves, quitte à s’y installer pour des périodes plus ou moins longues, mangeant à la table du Tsaddik, afin de suivre son enseignement, et il y a les maîtres itinérants; le meilleur exemple est le Baal Chem Tov qui courait la campagne au gré de son inspiration,  de Roumanie en  Pologne, et de là, en en Russie, pour porter sa parole dans les shtetel les plus reculés. Des Hassidim se joignent au Tsaddik dans ses pérégrinations, qui pour lui, font sens.  
On raconte L’histoire d’un Rabbi qui, un beau matin, décida d’entreprendre un long voyage afin de se rendre dans un village où, à priori il n’avait que faire, pour la seule raison d’y acheter au marché local un grand poisson. Quand ses disciples lui demandèrent la raison de ce voyage qui, pour eux, n’avait pas de sens dans la mesure où dans la ville où il vivait le marché était largement achalandée de poissons en tous genres et de toutes tailles, le Tsaddik leur répondit : - Il  ya un homme qui a fauté dans sa vie antérieure et qui s’est transformé en poisson dans cette vie-ci. Tant qu’on n’aura pas consommé de telle et telle façon le poisson qu’il est devenu, il ne pourra trouver le repos. Le Tsaddik et ses hassidim firent un grand repas avec ce poisson, et le Tsaddik s’en retourna satisfait chez lui.

Confucius passa le plus clair de sa vie adulte à pérégriner dans l’immense Chine. Certains prétendent que c’était pour trouver un Prince qui reconnaisse enfin sa valeur et lui confère les responsabilités publiques qui revenaient à son talent d’administrateur. Peut être est-ce aussi pour imprégner de sa marque singulière les lieux où il passa. Ce n’est que vers la fin de sa vie qu’il se sédentarisa, en créant sa propre Yeshiva.  

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